Knight of Cups, entre film classique et vidéo expérimentale  #article #cinéma

Terrence Malick est un réalisateur à la filmographie reconnue. Les Moissons du Ciel, La Ligne Rouge sont souvent citées comme des œuvres importantes dans l’histoire du cinéma. Plus récemment, The Tree of Life s’était retrouvé au cœur d’une controverse au regard de sa palme d’or en 2011. Il se présentait comme un objet filmique radical quant à sa conception du cinéma et du récit. L’accueil critique avait alors été très contrasté. Après un film un peu plus inaperçu, À la merveille, Terrence Malick sort de l’ombre avec Knight of Cups qui concrétise plus encore son goût pour l’expérimentation. Au risque — ou plutôt avec l’intention — de désarçonner le spectateur, car le film explore des dizaines de pistes en un temps assez concis. Dans cette multitude, que peux-t-on tirer ? Y a t’il un propos, une idée générale, une grande morale ? En définitive, que diable encore cherche à dire Terrence Malick !

Terrence Malick plonge le spectateur au beau milieu de fêtes hallucinées, de réceptions splendides, lieux où des « hommes de pouvoirs » cherchent le divertissement permanent. La caméra ne cesse de se mouvoir dans ces décors et s’approche au plus près de la masse dansante, des corps entrelacés, au plus près des drogues… Malick, dans une fascination technologique, n’hésite d’ailleurs pas à utiliser des images brutes filmées au téléphone ou des techniques « à la mode » comme l’hyperlapse et de nombreux ralentis.

Nous pourrions imaginer que Terrence Malick dresse un portrait pessimiste de notre société. Les faits sont plus subtils : le réalisateur est bien plus fasciné que prompt au jugement. La caméra observe au plus proche la manière de vivre d’une partie de la société et en utilise les mêmes codes. À partir de cette observation, de nombreuses questions se posent. L’humain n’a-t-il finalement pas besoin de toute cette fête comme échappatoire ? Mais, ce divertissement permanent n’est-il pas une réponse vaine, une manière de s’oublier, de masquer le problème ? Malick le met en relation avec d’autres échappatoires, qu’il s’agisse de la quête de spiritualité, de la science, de l’art, de l’amour, du retour à une nature majestueuse et imperturbable… Le film s’articule autour des liens entre la recherche de soi, parcours individuel difficile et la perte de soi dans une uniformisation des rapports.

Knight of Cups est une épopée de la déroute. Celle de ses personnages et celle du spectateur. L’œuvre pose son regard sur une foule d’aspects et rend possible une multitude d’interprétations. Fondamentalement, Malick rend compte de ce qu’il observe, à sa manière.** Il n’est pas force de jugement : il convient au spectateur de se forger son avis. Rien n’est figé, ni même le film : est-ce un documentaire, une fiction, une vidéo d’art ?

Néanmoins, on touche peut-être ici à la limite de l’œuvre. Cette pléthore se traduit, dans la forme, par une masse d’effets visuels. Certains sont assez inattendus pour déconnecter le spectateur ; il se retrouve en face et non plus dans le film. Se posent alors de nouvelles questions. La distribution du film, classique, est-elle adaptée à ce genre d’ofni ? Le problème ne réside-t-il pas chez le spectateur, trop habitué à une certaine forme de cinéma, voire chez ceux qui la produisent ? Par la jeunesse du film, il est encore difficile de juger l’impact de sa proposition ainsi que sa cohérence face au temps. Néanmoins, il est difficile de rester de marbre face à une telle ambition de la part d’un réalisateur. En cela, Knight of Cups est assurément un bon film.

Luca Mailhol

(publié en février 2016 dans Touristica International)