Dear Esther et Gone Home, œuvres d'art vidéoludiques  #article #jeux-video

Si une industrie a bien émergé ces dernières années, c’est bien celle du jeu vidéo. Des dizaines de titres sortent continuellement sur nos ordinateurs, nos consoles… Pourtant, longtemps, le jeu vidéo était au centre d’un paradoxe. Souvent plébiscité par le public, il restait un divertissement critiqué par les médias et centre de nombreuses polémiques. Depuis quelques années, la tendance évolue et le jeu se retrouve de moins en moins diabolisé. Dans un même temps, l’industrie elle-même change profondément, notamment grâce aux nouvelles techniques de financement comme le crowdfunding. De nombreux indépendants se lancent dans la marre avec des projets de plus en plus expérimentaux et novateurs, en dehors des sentiers battus. Ces techniques permettent de s’affranchir de certaines contraintes et donnent parfois naissance à de véritables pépites. Se lancer dans un nouveau jeu est toujours un exercice appréciable, surtout si ce dernier cherche à offrir une expérience particulière. C’est le cas de Dear Esther et Gone Home, deux jeux vidéo hors du commun.

Dear Esther est un ovni, une épopée contemplative poétique d’une grande justesse plus qu’un simple jeu, dans laquelle il convient de s’immerger complètement. Dépouillé de toute mécanique usuelle, Dear Esther ne propose pour seules actions que la marche et l’observation, le temps d’une ballade sur une île à la fois attirante et inquiétante, ponctuée par la lecture d’une lettre par un mystérieux narrateur. En résulte une ambiance complexe, oscillant entre émerveillement et oppression, nourrie par une remarquable esthétique ainsi qu’une magnifique bande sonore. L’histoire, belle allégorie, sert de prétexte à ce voyage onirique, métaphysique et se clôt sur une fin marquante… Rarement un jeu n’aura été autant immersif et réussi pour qui se laissera porter par le concept.

Dans Gone Home, il s’agit toujours d’exploration, celle d’un manoir familial. Arrivé en pleine nuit dans ce gigantesque habitat, vous apprenez que votre sœur a décidé de partir et aucune âme ne semble vivre dans le dédale de couloirs. Le temps d’écouter les messages du téléphone fixe de l’entrée, d’observer quelques lumières scintiller et l’ambiance est placée. La recherche commence. Au au fur et à mesure des découvertes se dévoile un scénario touchant et poétique en polyphonie avec l’ambiance portée par un excellent travail du son et des graphismes. Ce dernier évoque avec intensité, intelligence et justesse des sujets tels que le bonheur, l’amour et même l’homosexualité. Ce drame est admirablement nourri par les découvertes du joueur, ces dernières jouant avec toutes ses émotions. Gone Home fait rire, Gone Home fait frissonner, Gone Home fait réfléchir, Gone Home fait pleurer… Une réussite sur tous les plans.

Le point commun de ces jeux se retrouve dans l’intention qu’ont les créateurs de s’exprimer, d’offrir un véritable contenu au joueur, de l’impliquer directement. Après ce genre d’aventures, on ne peut pas considérer le jeu vidéo comme un vecteur artistique de seconde zone. Le jeu vidéo permet d’expérimenter des nouveautés qui ne sont pas possibles avec d’autres médiums et en cela, Dear Esther et Gone Home fournissent des expériences uniques, de par leur parti pris créatif et leur réalisation. Le jeu vidéo peut être véritablement un art à part entière, un que nous découvrons tout juste…

Luca Mailhol

(publié en avril 2015 dans Touristica International)

[Màj 2019] : Depuis ma découverte de Dear Esther il y a maintenant quelques années, j’ai eu l’occasion de découvrir de nouveaux “walking simulator” extrêmement intéressants. J’ai notamment mis les main sur Everybody gone to the rapture du même studio que Dear Esther et je l’ai trouvé époustouflant. Peut-être le sujet d’un futur article…