Nouvelles histoires de fantômes de Georges Didi-Huberman et Arno Gisinger  #article #art

L’objectif de cette nouvelle chronique, c’est le désir d’ouverture à toutes les formes de culture et à toutes les pratiques culturelles d’aujourd’hui. Pour tenter, entre autres, à travers elles, les arts, le cinéma, la photographie, l’informatique, de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons, d’y trouver des repères pour mieux l’apprécier.

La spectaculaire installation photo-vidéo, Nouvelles histoires de fantômes de Georges Didi-Huberman et Arno Gisinger au Palais de Tokyo à Paris présente la mise en relation de leurs travaux, d’un côté vidéo et de l’autre photographique.

La scénographie du lieu parle en premier au spectateur. Il est accueilli en hauteur sur une coursive dans un espace jouant avec les sens, entre les diverses vidéos projetées au sol et le son — distillé avec subtilité —, le tout discourant en continue. S’étalent des extraits de films (Passolini, Eisenstein, Godard) ou encore de vidéos d’art (Bas Jan Ader), comme un grand atlas démesuré sur le thème, entre autres, de la lamentation — travail inspiré du légendaire Atlas Mnémosyne de l’historien de l’art Allemand Aby Warburg.

Apparaît alors une grande fresque d’images collée au mur comme une pellicule, plus énigmatique. Il s’agit d’un travail élaboré par Arno Gisinger lors d’une précédente exposition de Georges Didi-Huberman, du montage au démontage de cette dernière. Le spectateur s’avance dans la salle, descend et observe. Les vidéos se trouvent alors à ses pieds, leurs mouvements devenant littéralement fantomatiques, visibles du seul coin de l’oeil dans une perspective exagérée. On tire de ce dialogue entre images fixes et en mouvement une première vision de cette exposition magistrale.

Au delà de cette impression, l’exposition apporte un véritable questionnement sur le statut de l’art et de l’image. Les deux travaux mis en relation s’articulent en deux temporalités. D’un côté les vidéos embrassent un large champ culturel tandis que les images ne montrent qu’un ponctuel dispositif humain d’exposition, de son montage jusqu’à son démantèlement, le tout présenté en même temps pour accentuer le statut éphémère de l’acte. On comprend alors le cœur de la réflexion. De plusieurs visions individuelles d’artistes et de leurs créations naît toute une culture, toute une histoire. L’acte d’exposer se rapporte alors à une sorte de quête de sens, à une volonté de partage de connaissance et de culture, non exhaustive, non absolue mais néanmoins d’une grande importance psychique et éthique.

Nouvelles histoires de fantôme est lui-même un dispositif existentiel monumental. Il pioche des images, montre à quel point elles sont importantes et riches et souligne aussi dans quelle mesure l’acte d’exposer l’est tout autant. Mais cette exposition vraiment éphémère ? De sa désinstallation ne résultera pas la fin des images qu’elle montrait. Elles seront toujours ancrées dans notre existence sans être nécessairement visibles, telles des fantômes. Car leur histoire n’est-elle pas une « histoire de fantômes pour grandes personnes », comme le soulignait Aby Warburg ?

Luca Mailhol

(premier article publié en novembre 2014 dans Touristica International, photographies de l’exposition par Luca)