Un long-métrage en deux semaines : Retour à Hérisson  #projet #chef-op

Cet été, j’ai officié comme chef-opérateur sur un premier long-métrage, écrit et réalisé par mon ami Léo, Retour à Hérisson (titre provisoire). Quelle expérience. Après deux semaines de tournage intense, j’avais du mal à intégrer que nous avions tout rentré.

Le postulat de départ : une fiction longue, tournée en 13 jours dans le village d’Hérisson. Un scénario qui m’a accroché d’un coup. Une chorale d’une journée, de nombreux personnages et une majorité de seconds rôles joués par des habitants du coin. Une flopée de décors, des nuits, des aubes… À la lecture et en accord avec les envies de Léo, il était évident que le film appelait à une certaine force esthétique, à du mouvement : il n’y a eu aucun débat quant à la location d’une dolly. De plus, étant fasciné par l’utilisation conjointe du rail et du zoom, je savais que nous allions travailler avec des configurations lourdes. 13 jours en petite équipe. Quelques paramètres à prendre en compte, donc.

Retour à Hérisson s’est mis assez vite sur pied. Courant mars Léo a présenté le projet en indiquant déjà une zone précise de tournage. Du fait des emplois du temps de chacun, nous avons pu caler un unique week-end de repérage sur place un bon mois et demi avant le début du tournage.

De mon côté, sur la base du travail préparatoire de Léo, j’ai réfléchi à ma vision du découpage et préparé les intentions de cadre, de lumière, de couleur… En fonction des personnages, des décors et des séquences. Plusieurs fois, nous nous sommes vus pour discuter et confronter nos idées. Dans les faits, plus que des rendez-vous studieux, nos rencontres se sont souvent soldées par des beuveries en règle durant lesquelles on évoquait nos envies les plus folles. Mais la relation de travail était très fluide et nous avons essayé d’être le plus précis possible sur beaucoup points, tout en restant conscients que certaines volontés allaient vite se confronter à la réalité du tournage.

Sur place étaient prévus trois jours de préparation pour retourner sur les décors déjà repérés, pour continuer les essais caméra et pour valider certains aspects du découpage.

Un projet ambitieux à bas budget implique souvent un plan de travail tiré au cordeau. Passé une période de rodage, nous avons trouvé un bon équilibre entre petites séquences et scènes techniquement demandeuses. En bout de course, nous avons essuyé quelques très longues journées mais dans une bonne ambiance. Difficile de couper à quelques moments de stress, aux instants où on se demande si ça va passer. Mais c’est aussi la beauté des projets comme celui-là : une équipe très impliqués, ce qui a toujours permis de trouver des astuces et de se débrouiller. Même à 4h du matin sous la pluie et l’orage alors qu’il reste une séquence clé à tourner.

Si je m’en doutais un peu, c’est en arrivant à Hérisson que j’ai compris dans quelle mesure nous allions vivre le film pendant deux semaines, sans arrêt ni véritable repos. Parce que nous étions au beau milieu du décor, que nous croisions continuellement les comédiens dans leur vie, que nos moments de pause étaient sans cesse bien arrosés… Une fois pris le pli, le retour à un train de vie normal m’a semblé très étrange. En définitive, une belle ballade entre ami.e.s et un tournage qui me restera longtemps en mémoire. Et une certaine hâte de voir les premières images montées.

Un point sur les configurations caméra

Pour ce film, j’ai choisi de tourner en Gemini. De base, je n’ai aucun a priori sur l’image Red et l’argument majeur était le double ISO natif. En équipe réduite, sans puissance de frappe conséquente en terme d’éclairage ainsi qu’au regard du temps à disposition, cette technologie me semblait être une alliée puissante. Dans les fait, ce fut extrêmement utile et cette possibilité m’aura permis de jongler à volonté entre les deux bases et jouer facilement des métadonnées ISO en fonction des conditions lumineuses1. Sur ce point, j’aurais aimé pousser les essais en amont mais, faute de temps, j’ai fais confiance à la caméra et à mes quelques connaissances techniques.

En terme d’optique, nous avons principalement utilisé le Cooke Varotal 18-100 T3, un objectif d’une beauté insolente. Une configuration lourde mais versatile et pratique, même pour certains plans épaule. Avec cet objectif, le moindre mouvement de zoom est d’une précision folle. Le souci était plutôt de devoir posséder une mattebox 6x6 et les filtres équivalent pour cette optique uniquement. Pour certaines séquences qui demandaient un encombrement moindre, nous chaussions un Cooke Varo-Panchro 20-60 T3.1, magnifique caillou également. Pour les séquences de nuit, d’aube ou quelques moments pendant lesquels je travaillais seul pour permettre à l’équipe de se reposer, nous avions un montage léger avec une série de Zeiss GO. Enfin, trois plans spécifiques ont été tournés à l'Angénieux 25-250 T3.7.

Concernant les filtres, j’ai fait le choix de diffuser l’image à l’aide d'Hollywood Black Magic. Ça faisait un moment que cette série me faisait de l’œil et il se trouve que je les ai enfin vus en action sur un projet juste avant Retour à Hérisson. Assez convaincu par ce mix de Classic Soft et Black Frost, je n’ai pour autant quasiment jamais dépassé le premier grade, 1/8 (devenu le “comme d’hab” sur le plateau), afin de garder une image relativement définie. Quelques rares plans utilisent un filtre Fog. Pour le reste, nous avions les classiques : polarisant, neutres et neutres dégradés soft en 4x5,6 et en 6x6.

Que dire de plus ? J’étais très content de notre configuration si on oublie l’ergonomie terrible du corps DSMC2 sans véritable cage. Nous avons aussi essuyé un certain nombre de problèmes qui nous ont fait passer des larmes aux rires (dans cet ordre) : instabilités des connecteurs BNC sur certains équipements, un kit de Bolt 300 qui nous lâche sans raison la veille du tournage quand tout allait bien aux essais (sur ce point, le loueur a été très réactif en nous renvoyant deux nouveaux Terradek), follow-focus qui se met à tourner dans le vide au bout de cinq jours, commande de zoom qui coince et qui fait partir l’optique d’un coup en pleine prise (on a appelé ça le zoom The Office)… Mais le meilleur : la caméra qui se coupe, parfois, en appuyant sur le bouton REC. Oui : ce sont les même boutons. C’est comme mettre ensemble la commande de lancement et d’ouverture du hublot sur une machine à laver… Vous savez, la machine à laver DSMC2, où le bac à lessive est vendu en kit. Merci RED !

Au milieu de tout ce merdier, on retrouve Egan, premier assistant rencontré pour l’occasion et dont le professionnalisme et l’humour m’auront impressionné. Pendant ces deux semaines, il a été brillamment secondé par Yuntian. Une très belle équipe caméra que je remercie beaucoup !

Un point sur la lumière

Concernant la lumière, nous utilisions ce qui se fait de meilleur en terme de versatilité et de consommation : du vieil équipement tungstene, un 1,2kW HMI de théâtre énorme, un Jokerbug 800, un Kino 2T120, des fluos Nesys… Blague mise à part, je n’ai aucun problème avec ce matériel que j’aime utiliser. Même si la polyvalence et la légèreté de certaines sources LED moderne nous aurait bien aidé à quelques moments.

En bout de course, nous n’avions pas tant de matériel que ça. En règle générale, je me suis surtout appuyé sur des toiles 6’x6' et 8’x8' (ultrabounce, diverses diffusions, tissus de couleur) mais surtout sur un kit de petits miroirs que je me suis bricolé pour l’occasion2. Sans ce dernier, peaufiner les scènes nous aurait pris beaucoup plus de temps (que nous n’avions déjà pas). En partant d’une ambiance au HMI réfléchi sur toile et en venant repiquer de la lumière dure du projecteur avec deux ou trois miroirs, on met rapidement sur pied une belle base d’éclairage pour un intérieur, par exemple. C’est la première fois que je travaille autant avec des miroirs, certainement pas la dernière.

Comme pour beaucoup de projets, le regret est toujours de ne pas s’attarder pour peaufiner jusqu’à plus soif (on me parle souvent de poils de culs). Je pense que nous nous en sommes tout de même très bien sorti et l’urgence permet parfois de se concentrer sur le principal.

Dans tous les cas, rien n’aurait été possible sans la dévotion de Claire et Étienne, aidés par Thibaut la deuxième semaine. Je les remercie énormément : nous n’étions pas sorti du cul des ronces et ils m’ont suivi dans mes délires avec efficacité, propositions et force blagues douteuses3Autant dire que sans ça, tenir la distance aurait été beaucoup plus compliqué. À noter aussi, l’aide précieuse de Émile venu quelques jours faire des plans de coupe et qui s’est retrouvé à installer des projecteurs, par la force des choses.

Malgré mes quelques piques concernant le matériel, les problèmes arrivent et nous étions tout de même très bien dotés. Un grand merci donc, à Buffaloc, Les Ateliers du Cinéma, Constance Production et Honest Production.

Pour le reste, un énorme remerciement à Léo de m’avoir fait confiance. Et à toute l’équipe, bien entendu !

Toutes les photographies illustrant cet article sont de Jean-Pierre Estournet et distribuées sous licence CC-BY-NC. Un grand merci à lui, retrouvez le reste de son travail ici.


  1. Par exemple, dans une séquence avec une majorité de hautes lumières, l’idée consiste à se caler sur la base 800 mais à poser son image à un ISO plus élevé. Résultat, on est forcé de faire entrer moins de lumière pour une exposition équivalente, ce qui a pour effet de préserver un peu plus les niveaux de luminance élevée. L’inverse se pratiquant aussi, les séquences les plus sombres sont posées sur une base 3200 en choisissant un ISO plus bas (amenant, donc, à éclairer un peu plus). Dans les faits, il n’y a que dans quelques situations vraiment sombres où j’ai été battu et forcé d’augmenter le gain. ↩︎

  2. Le kit consiste en un sac contenant des petits bras magiques et des platines avec spigot, qu’on vient velcroter derrière des miroirs. Je m’en suis bricolé de 15cm2, de 25cm2 et de 45cm2. Pour diffuser la réflexion, j’ai opté pour de l’hampshire qu’on pinçait directement sur le miroir. ↩︎

  3. earl-thumbs-up ↩︎