Filmons le réel ou filmons réaliste ?  #article #cinéma

Au cinéma, l’une des choses les plus passionnantes est sans nul doute le « réel ». Notion assez abstraite. Ce « réel », est-ce simplement ce qui nous entoure ? De la fiction au documentaire, il se révèle être le regard, la voix du cinéaste à travers sa propre expérience, sa vision. Chercher à le filmer donne un cinéma aux multiples facettes, tantôt humaniste, tantôt misanthrope, ou encore utopique, dystopique, engagé, désabusé… Filmer le réel, c’est collecter des émotions, des réflexions, toutes sortes d’instants tangibles révélés par l’image, le son, l’histoire.

Ainsi, des cinéastes comme Eric Rohmer, François Truffaut ou Jean Eustache peignent souvent l’amour comme essentiel de l’existence. Celui-là même qui accroche leurs personnages à la vie, dans tout ce que cela peut avoir de magique ou tragique. On s’identifie comme jamais à la quête d’un Antoine Doinel, on rêve de passer une Nuit chez Maud. D’autres comme Lars Von Trier ou Michael Haneke livrent une vision plus cruelle de la vie, emplie d’une violence froide, hantée par la crainte constante de la mort et ponctuée d’espoirs avortés. Certains encore donnent une teinte métaphorique complexe à leur cinéma, comme Stanley Kubrick, Terrence Malick, Leos Carax ou Arnaud Des Pallières, dont nous avions déjà parlé. Le « cinéma du réel », c’est aussi bien souvent le regard d’une époque, parfois très engagé, à l’aune d’un Easy Rider ou d’un Voyage au bout de l’enfer.

Bien sûr, le cinéma n’est pas que fiction. Bien des oeuvres documentaires cherchent à « faire voir ». Certains réalisateurs en jouent et brouillent les frontières entre les genres comme Ron Fricke et son film Baraka, une œuvre contemplative et musicale. Il prend le pouls du monde en enchainant de magnifiques plans qui créent, sans dire quoi que ce soit, une forte narration. D’autres, comme Alain Resnais, ont su s’emparer avec brio de la question documentaire avant de s’attaquer à la fiction. Ce qui a donné naissance à de singulières œuvres telle Toute la mémoire du monde ou encore Guernica.

Le cinéma du réel, donc, n’est pas intrinsèquement le cinéma du réalisme. Tous ces noms ont inventé leur propre cinéma, ont développé une grammaire cinématographique qui leur est propre. Le cinéma du réel est l’histoire brute de la vie, habillée par la subjectivité de l’auteur.

C’est pourquoi, parfois des décennies après leurs sorties, certains films continuent à nous habiter autant. Il suffit de voir à quel point une œuvre comme l’Aurore de Murnau peut encore nous émouvoir, quand bien même elle soit muette et en noir et blanc. C’est un cinéma intemporel : il nous parle au plus profond de nous et suscite les réactions les plus authentiques. C’est un cinéma qui ne cessera jamais de nous interpeller, de nous faire réfléchir. Un cinéma qui, par son infinité de points de vue, nous donne des pistes de compréhension. Dans ce sens, c’est un cinéma qui a le pouvoir de changer la face du monde.

Luca Mailhol

(publié en décembre 2015 dans Touristica International)