⚰️ Six Feet Under : la série est-elle un sous-cinéma ?
Une question aussi passionnante que passionnée anime souvent les débats de la communauté cinéphile : la série télévisée est-elle légitime par rapport au cinéma ? Si certains restent indifférents à une telle question, d’autres ont des avis parfois tranchés. Pourtant, depuis la diffusion dans les années 90 du mythique Twin Peaks de David Lynch, l’univers de la série a largement évolué. Premier à briser le mur entre la télévision et le cinéma, le réalisateur a initié une nouvelle ère en servant de modèle à une toute une nouvelle génération de créations comme X-Files, Oz ou encore un des chefs-d’oeuvre du genre, The Sopranos. Depuis lors, il est évident que la série télévisée est devenu un genre à part entière, un terrain d’exploration obéissant à des contraintes différentes du cinéma.
De plus en plus de séries ont su sortir des sentiers battus pour innover et proposer un contenu inédit, comme The Wire ou plus récemment Breaking Bad, marquant alors le paysage audiovisuel et notre culture contemporaine. Néanmoins, une création a su exploiter exceptionnellement bien les spécificités de la série télévisée, il s’agit de Six Feet Under, créée par Alan Ball et diffusée en 2001.
La série conte le quotidien d’une famille hors norme, les Fisher, propriétaire d’une société de pompes funèbres fondée par Nathaniel Fisher. Après son décès dans l’épisode pilote de la série, l’entreprise est reprise par ses deux fils, Nathaniel Jr (Nate) et David. Derrière ce synopsis court et étonnant se cache la force de Six Feet Under. Tous ses nombreux personnages sont complexes et décrit avec une justesse impressionnante. À chacuns ses interrogations, ses contradictions… Le soin apporté à l’écriture de chaque épisode, de chaque situation est palpable. Car le sujet de cette série est tout bonnement la vie. Les cinq saisons détaillent tout ce qui peut arriver à ces personnages hauts en couleur. Évènements joyeux ou terribles, des moments de bonheur intense aux profondes remises en question, les relations et parfois la terrible solitude qu’elles apportent. Tous les épisodes de la série marquent le spectateur. Ils poussent à l’introspection et à l’empathie, tel un miroir de sa propre existence. En résulte une très forte implication de ce dernier dans cet univers. On aime, on déteste certains personnages, notre opinion évolue au fur et à mesure que se dévoile leur personnalité. Les événements finissent par nous toucher personnellement comme on ne l’imaginerait pas.
Sous son aspect morbide, cette série qui prend comme base la mort s’avère être un des plus beaux hymnes à la vie jamais réalisé. Il ne s’agit pas de la glorifier mais de la raconter, simplement, dans sa subtile complexité. Et rien n’est vain, chaque instant reflète la volonté du créateur de rendre compte d’une expérience, de raconter quelque chose qui le touche sans vouloir en faire un exemple, sans jugement. Et une œuvre n’est-elle pas d’autant meilleure qu’elle découle de la forte envie d’expression personnelle d’un artiste ? Il ne s’agit pas uniquement de divertissement, Six Feet Under est une réalisation profonde, qui constitue, en quelque sorte, un véritable apprentissage. Il y a toujours bien des questions en suspends et un doute tangible et constant, celui-là même que nous pouvons éprouver à chaque instant de notre existence.
On en revient alors à la question principale : il ne s’agit pas de trancher entre l’un ou l’autre, ils sont en définitive difficilement comparables. Mais la série télévisée a su s’imposer comme un vecteur d’expression à part entière, grâce à des créateurs visionnaires inspirés par ce format, par cette possibilité de créer un univers et des personnages très complexes évoluant dans un large arc narratif.
Luca Mailhol
(publié en juin 2015 dans Touristica International)