🧩 Réalité ou imaginaire artistique ? La question du vrai dans l'art
Le rapport entre la fiction et la réalité a toujours été au cœur du débat artistique. Celui-ci est lié à la notion de perception qui peut grossièrement se diviser en deux catégories : la perception du sujet par l’artiste et la perception de l’œuvre par le spectateur. Mais le lien entre l’idée de vrai et de faux est une affaire complexe. S’il est établi que l’art n’est pas sensé être une représentation objective de la réalité, nombreux sont les exemples qui amènent, dans un premier temps, à relativiser cette affirmation.
En 1877, Auguste Rodin se retrouve au cœur d’une polémique, accusé d’avoir eu recours au moulage d’un corps pour L’âge d’airain, considéré bien trop réaliste. Dans un même temps, l’apparition de la photographie déclenche de nombreux débats, portés notamment par Baudelaire en 1859 dans Le public moderne et la photographie. Quand ses contemporains voient la photographie comme un art sous prétexte qu’elle capture parfaitement la réalité, le poète riposte fermement. Selon lui, l’apparition d’une telle machine apparaît comme un déclin en amenant les artistes à se concentrer sur ce qu’ils voient et non ce dont ils rêvent. On retrouve une idée similaire dans la pensée d’Hegel dans l’Introduction à l’esthétique, pour qui “certains portraits sont ressemblants jusqu’à la nausée”. Pour le philosophe, la joie procurée par la volonté d’imiter la nature doit être toute relative. Quelques décennies plus tard, l’essor des nouvelles technologies éclaire le débat sous un jour nouveau.
À la base d’une œuvre, il y a la volonté d’un artiste d’exprimer sa perception individuelle sur un sujet choisi. Prenons l’exemple du moyen-métrage Disneyland, mon vieux pays natal du cinéaste français Arnaud Des Pallières, sorti à la télévision en 2000. Dans ce film expérimental, le réalisateur se base sur le réel, le parc d’attractions, pour le traiter d’une manière complètement hallucinée. En découle un portrait complètement hors norme du lieu, tant dans le fond que dans la forme.
La perception qu’a l’artiste du lieu devient, le temps d’un film, sa réalité toute subjective, fantasque au possible. Il ne cherche pas à en imaginer une potentiellement objective. Ainsi, dans l’art, le rapport entre le réel et l’irréel est complexe et s’appuie sur cette mécanique individuelle. L’artiste perçoit une sorte d’imaginaire correspondant à sa perception subjective du sujet et en fabrique sa propre réalité. Le terme imaginaire est large et n’est pas nécessairement lié au rêve, bien évidemment. Vouloir imiter la réalité sans plus d’ambitions semble vain, pour en revenir à Hegel. Quel en est l’intérêt artistique, esthétique ? La réponse du philosophe est sans appel.
La technologie, par son approche plus concrète de la réalité, permet à l’artiste de brouiller les pistes entre le réel, l’irréel et sa perception du sujet. On revient aux craintes de Baudelaire concernant la photographie, ou plus directement a Des Pallières et son utilisation de la caméra. La technologie, en fine imitatrice du réel, génère du doute et du questionnement.
Face à une œuvre, nous en revenons alors à l’état ressenti devant des éléments tangibles, comme un paysage naturel. Est-ce réel ? Le doute s’installe et jailli une réflexion intérieure. N’est-ce pas là le propre de l’art ? La perception d’un artiste comme vecteur d’introspection, de compréhension ? La technologie ouvre aux artistes des horizons nouveaux dans ce domaine. Elle est d’autant plus attirante par sa jeunesse et son évolution constante : elle ouvre des possibilités infinies, inédites dans l’histoire de l’art.
Luca Mailhol
(publié en juillet 2015 dans Touristica International)